LES MURETS DU CAUSSE

Document élaboré par des étudiants de BTS Gestion et Protection de la Nature, du lycée agricole de Périgueux en 2001

Notre sentier passe en plein cœur du causse de Limeyrat. On sait que les terres y sont très peu profondes et très caillouteuses. On pourrait ainsi passer à côté du muret sans y faire attention, car il est très banal dans ce type de paysage.

Et pourtant, il fait référence à l’histoire de cette région, et plus particulièrement à son agriculture. En effet, le muret de pierres sèches est omniprésent dans ces paysages. Il peut tantôt être encore bien dressé et toujours en place ; ou bien être plus ou moins démolit par le temps qui passe.

Nous allons donc nous arrêter sur cet élément très révélateur, sur un plan paysager, historique… mais aussi écologique.

Quelle est son histoire et quel est son lien avec celle du causse ? Quels sont ces habitants ? Quelles sont leurs particularités ? Car ce muret est un monde à lui tout seul. Et lorsqu’on le regarde ; il est une problématique, à chaque échelle d’observation.

I- L’historique des murets

A.Historique et symbolique

A.Historique et symbolique

Le sentier passe sur un causse calcaire. Ce causse a donc des caractères pédologiques particuliers, avec un sol jeune ou constamment rajeunit par le relief et la pluviométrie. Ces sols ont donc un profil particulier : ils sont très peu profonds, et le peu de terre qu’il y a contient beaucoup de cailloux.

Dans ce contexte, et au cours de l’histoire, l’agriculture dans ce type de régions se tourne vers l’élevage et notamment l’élevage ovin. La culture se pratique très peu, et seulement sur les terres les plus profondes (quelques centimètres à quelques dizaines de centimètres de sol !).

En effet, la culture, dans ce type de régions, nécessite le ramassage des pierres, ce qui représente un travail difficile et une énorme quantité de pierres à sortir. Alors, dès le début du moyen-âge, apparaît le muret ; en même temps que les bories, cabanes en pierres sèches construites en bordures des parcelles pour éviter que l’agriculteur n’ait à revenir au village tous les soirs. On fait alors d’une pierre deux coups : En effet les pierres sorties des champs sont utilisées pour construire ces édifices. De plus les agriculteurs se dotent ainsi d’un outil multifonctionnel qui leur est bien pratique.

Le muret est alors une limite de parcelle ou de terrain, qui marque la propriété privée d’un terrain. Les agriculteurs de l’époque n’ont en effet que ces terres pauvres et difficiles à travailler comme richesse ; les meilleures terres étant réservées aux seigneurs.

Le muret est aussi une barrière qui protège les cultures contre les troupeaux d’une part, mais également contre le gros gibier (cerfs, chevreuils, sangliers) ; afin que le peu de cultures puisse être préservé de ce type de ravages.

Le muret est aussi une clôture qui garde les troupeaux et les protège efficacement contre les prédateurs (loups, renards, chiens errants…)

Nous voyons alors toute l’importance qu’a pris ce muret et tous les symboles qu’il représente pour ces paysans. Il représentait ainsi le travail de la terre, leur propriété privée et leur " savoir faire".

Ces murets nécessitent en effet une technique particulière de construction, qui à l’image de celle utilisée pour construire les bories, était très difficile à maîtriser. C’est une technique qui leur valait parfois de construire ces murets pour les seigneurs de l’époque. Les agriculteurs de l’époque devaient donc également être des constructeurs en plus de leur activité.

B. La technique de construction

Pour les apprentis, c’est une formation de "  longue haleine " et très frustrante car "  quand on pose une pierre, elle est remplacée aussitôt par le maître, et on reçoit alors la mission de passer les pierres. " Cela peut paraître dur ou exagéré, mais élever un mur en pierres sèches, c’est le bâtir sans ciment ni mortier. Ce procédé exclut également l’emploi de boue ou encore d’argile pour lier les pierres. L’important et de savoir choisir ses pierres.

* Les variétés de pierres :

On distingue généralement trois grandes catégories de pierres de construction :
- Les pierres franches qui se détachent naturellement en bloc plus ou moins rectangulaires
- Les pierres non franches qui se cassent en n’importe quelle forme
- Les pierres intermédiaires, qui n’ont que deux faces parallèles lisses ; les autres étant difformes.

En fonction de ce critère, elles se situeront plus ou moins haut sur le muret ; et plus ou moins au centre.

L’autre facteur important sera la qualité du calcaire. En effet certaines iront plutôt à la construction d’une borie voire d’une maison ; alors que des pierres d’une qualité moindre serviront pour les murets. L’artisan choisira donc ses pierres, ce qui est la première étape de la construction d’un muret.

* Le fruit du mur :

Afin que le muret soit plus stable et plus solide, on lui donne un " fruit ". C’est à dire que la base sera plus large que le haut : la différence est nommée fruit.

Ainsi le fruit moyen est de 8 à 15 centimètres pour 1 mètre de hauteur. Il peut varier en fonction de la qualité de la pierre. Ainsi un mur de 1,5 mètres de haut aura une base d’au moins 60 centimètres et le haut mesurera 40 centimètres.

* La construction :

Pour construire un mur, il faut tout d’abord installer un gabarit. Il permet de vérifier la verticalité du mur et sert de guide lors de la construction
- Les pierres étaient transportées à cheval jusque sur le site.
- On commence d’abord par creuser une tranchée sur la longueur du muret, légèrement plus large que la base prévue.
- L’artisan pose ensuite les fondations, avec des pierres plates d’épaisseurs égales. C’est important de les poser avec soin car si elles s’affaissent, le mur s’écroule.
- On édifie ensuite les deux parements du mur simultanément avec de grosses pierres, et entre on remplit l’espace avec des petites pierres très dures, " la blocaille ", que l’on agence avec soins.

La majorité des murs sont élevés de cette manière. Mais en réalité, l’idéal serait de mettre à mi-hauteur des parpaings, longues pierres plates légèrement plus larges que le mur.

Ensuite, on continue l’édifice normalement. On met ensuite une assise de couverture. Ce sont des pierres très plates, qui couvrent la largeur du mur. On finit par mettre le chaperon, grosses dalles de pierre, qui sont posées et calées avec soins. Elles forment la crête du mur et achèvent la construction. Ces murs sont dits à construction idéale.

Mais la majorité n’ont pas de parpaings et ont quelquefois un chaperon. Ceci est dû au problème de trouver les bonnes pierres dans les champs ; et les meilleures servaient à la construction des habitations ou des bories.

Lorsqu’un mur en pierres sèches est bien entretenu, il est construit pour plusieurs siècles, les brèches étant réparées au fur et à mesure de leur apparition. Toutefois, il est rare de nos jours que ce petit patrimoine soit bien entretenu.

Marqueurs de notre histoire, il n’en reste pas moins que les murets de pierres sèches sont un milieu très intéressant à étudier.

II- L’écosystème muret

A. Présentation du biotope et de ses caractéristiques

Les siècles ont donné à l’homme l’occasion d’édifier des milliers de kilomètres de murets. Ceux-ci, parfois en ruine, offrent aux plantes et aux animaux des supports et des abris. Ils sont devenus un milieu très particulier où la vie bat son plein.

Cependant, avant que la vie ne s’installe, il existe une succession de stades bien précis, permettant de passer d’un milieu stérile à un milieu vivant. Tout commence lorsque les lichens ( symbiose entre une algue et un champignon), pouvant vivre sur des matériaux stériles, colonisent les murets. Grâce à leurs actions chimiques et mécaniques, ils commencent à dégrader la roche.

Années après années, les débris de cette première vie s’accumulent par lessivage dans les creux et les failles du muret, créant un micro-sol, alimenté encore par des quantités de poussières organiques ou minérales apportées par voie éolienne. Ce pseudo-sol ainsi créé, on verra apparaître des premières mousses, qui une fois mortes, augmenteront la quantité de sol ; permettant aux fougères puis aux phanérogames de s’installer à leur tour. Un problème majeur se situe dans l’inclinaison du muret, car elle limite la quantité de sol créé, ce qui a pour effet de limiter la biocénose.

Le muret est donc dans sa genèse assez proche de celle d’une paroi rocheuse. On y retrouve plusieurs milieux de vie similaires :

· Milieu saxicole (sur le rocher)
· Milieu lipidicole ( entre et sous les pierres)
· Milieu musicole (dans les mousses)
· Milieu du micro-sol

Il n’existe pas un muret, mais plusieurs types de murets, caractérisés par des facteurs physiques simples :

- La localisation du muret (ville, campagne…)
- La nature des pierres (calcaire, siliceuses…)
- Le mode de construction (jointés, pierres sèches…)
- L’âge du muret, auquel correspondent des degrés de colonisations différentes
- L’état du muret (debout, fissuré, en partie éboulée…)
- Le type de sol au pied des murets, dont dépend la réflexion de la chaleur, l’aspersion par rejaillissement de l’eau de pluie, et par la même voie l’apport des terres sur la partie basse du muret.

Les multiples sortes de murets, font que ces milieux abritent une grande diversité floristique et faunistique ; mais également un grand nombre d’habitats. Cependant, ils possèdent des conditions de vie très précises, liées au microclimat des murets.

Ceux-ci sont en grande partie liés à deux facteurs :

- L’humidité
- La température

Qui eux même varient en fonction du type de murets et d’autres facteurs, tels que la capacité thermique des roches, leur porosité, l’exposition du muret par rapport au soleil et à la topographie du site.

Pour mieux comprendre la spécificité de ce milieu, il suffit de prendre un exemple concret.

Un muret de pierres sèches calcaires, sur un plateau, avec une face exposée au Nord et l’autre au Sud.
* Le côté Nord peut être caractérisé part :
. Un fort taux d’humidité lié aux précipitations et au vent frais
. Une température basse et homogène, due à l’ombre du muret et à la capacité calorifique des pierres

* La face sud est quant à elle totalement différente :
. Des températures élevées et variables (de 20°C à 50°C en 24 heures)
. Une sécheresse très prononcée

On voit donc bien que les conditions de vie sont extrêmes et très sélectives. Cela implique que la végétation et les animaux qui y vivent possèdent des adaptations bien précises.

B. Présentation de la biocénose

B. Présentation de la biocénose

Les murets possèdent une grande diversité de faune et de flore spécifique.

Les végétaux ne peuvent se déplacer. Ils doivent donc s’adapter aux microclimats des types de murets. On retrouve ainsi les lichens crustacés, foliacés, toutes sortes de mousse, mais également des fougères ( rue des murs, capillaire rouge…) et des plantes à fleurs (grande chélidoine, orpin âcre…), capables de résister à la sécheresse ou à l’humidité constante.

En ce qui concerne la faune des murets, elle est beaucoup moins dépendante du microclimat que les végétaux.

Cette faune vit sur les murets car il lui apporte un habitat, de la nourriture, ou un lieu de reproduction. On y retrouve ainsi des invertébrés terrestres (acariens oribates…), mais aussi des reptiles (lézards, couleuvres…) ou des mammifères (hérisson, musaraigne étrusque…) qui s’abritent dans les murets. D’autres animaux tels que certains hyménoptères, vivent sur les murets pour s’y reproduire ( guêpe maçonne, abeille solitaire). Il y a également ceux qui se nourrissent sur les murets. Ils y mangent des végétaux, d’autres animaux, ou utilisent les minéraux des pierres pour vivre. On peut noter le maillot ovaire (gastéropode), la solticide (arachnide) ou la punaise écuyère.

Le dernier type d’espèces est caractéristique des murets, non parce qu’elle vit vraiment dessus ; mais car elle demeure dans les plantes du muret. C’est en particulier dans les mousses que l’on peut découvrir ces animaux. Ils vivent dans la fine pellicule d’eau qu’elles retiennent. Mais ces animaux doivent être capables de résister à la sécheresse car les mousses peuvent se déshydrater durant de longues périodes. C’est le cas du tardigrade, petit invertébré aux capacités exceptionnelles.

C. L’adaptation des animaux

Le monde des murets est un milieu rempli de vie, qu’il s’agisse des végétaux ou des animaux. Les petits mammifères, reptiles, batraciens, invertébrés découvrent derrière les pierres des abris ou endroits propices à l’aménagement de leur nid.

Ils ont du s’adapter à l’écosystème du muret de diverses manières. Nous avons choisit de vous présenter trois être vivants sur le muret. Il s’agit d’un mammifère (musaraigne étrusque), d’un reptile (lézard des murailles) ainsi qu’un acarien (oribate). Toutes espèces d’êtres vivants vivent en symbiose entre eux et avec le muret. Ils s’en servent de refuge à nourriture, habitat, compagnie, … pour vivre.

Conclusion 

    Pour conclure, on peut dire que le muret est l’élément incontournable de l’histoire des causses. Il est également indissociable de l’histoire des hommes qui y habitent. Et fait pourtant partie de ce petit patrimoine aux multiples intérêts qui est en voix de disparition aujourd’hui. C’est pourquoi, nous avons donc choisi ce thème dans ce dossier scientifique. Nous avons voulu montrer au travers de ces quelques pages la complexité et la difficulté de monter et d’entretenir un muret, preuve que c’est un savoir " artistique " qu’a su acquérir l’homme et que l’on est en train de perdre de nos jours.

    Nous avons également essayé de souligner l’intérêt écologique de ce milieu artificiel qui contient des espèces qui sont toutes aussi étonnantes qu ‘étranges pour pouvoir vivre dans des conditions écologiques aussi extrêmes et contrastées que sont les conditions de vie sur un muret.

    C’est pourquoi, nous finirons en disant qu’il est important de préserver ce milieu aussi intéressant qu’étonnant qui est de plus une preuve que l’homme qui semble montrer aujourd’hui son hostilité envers l’environnement est capable de créer un milieu sans détruire le milieu avoisinant qui est celui du causse.

Remerciements :

M. JP. Falandry, pour ses dessins.
M. Fouchier Nils, pour toute son aide en matière de documentation et sa disponibilité.
La municipalité de Limeyrat, pour sa collaboration.
Mme Grosmaire Cécile, pour la connaissance du contexte, et pour sa gentillesse.
Le centre social pour leur aide.

Partenaires :

Municipalité de Limeyrat
Le Centre Social de Thenon
Lycée Agricole de Périgeux
PDIPR