Héraldique : le blason
Histoire:
Pendant plusieurs années, la commune a utilisé les armoiries transmises par M. Camille Heidet, d’Essert, vers les années 1990, d’or à cinq tourteaux d’azur mis en sautoir. Loin d’être authentiques, ces armoiries n’étaient en réalité qu’une attribution fantaisiste sans lien réel avec l’histoire locale. M. Heidet s’était en effet contenté de photocopier une gravure tirée d’un traité d’héraldique de Hiérosme de Bara, Le blason des armoiries, paru à Lyon en 1581 et facilement accessible depuis sa réédition en 1975. Arrêtant son choix à la page 49, il avait sélectionné cet écu aux tourteaux au motif que Chargey avait été en 1384 le siège d’un receveur local des finances. Or il s’avère que cet événement, au demeurant peu pertinent pour inspirer des armoiries, concernait Chargey-lès-Gray, et non Chargey-lès-Port…
Grâce aux recherches solides menées depuis plusieurs années par Jacques Mourant, l’histoire de Chargey est désormais bien connue. Soucieux de véracité, Jacques Mourant a souhaité que son village d’origine possède des armoiries établies sur des fondements solides. La municipalité a été acquise à cette idée, et après discussion, de nouvelles armoiries ont été composées par l’auteur de ces lignes afin de remplacer les anciennes, fautives.
Le projet retenu associe divers éléments issus du terroir local, traités avec un graphisme moderne et épuré, associant trait vigoureux et couleurs vives : c’est donc l’alliance de la tradition et de la modernité. Ces nouvelles armoiries ont été conçues afin d’être un motif de fierté pour les habitants ainsi qu’un emblème permettant de mieux faire connaître la commune à l’extérieur.
Blasonnement :
Le blasonnement est la description en langage héraldique des figures et couleurs de l’écu.
D’azur au chevron pignonné de trois montants d’or et maçonné de sable de neuf pièces, surmonté de quatre ailes de moulin en sautoir et accompagné en chef de deux serpettes affrontées et en pointe d’un annelet, le tout d’argent.
Soutiens : deux branches de sinople, l’une de cerisier et l’autre de tilleul, en sautoir derrière l’écu.
Devise : « Il n’est de murot qui m’arrête ».
Symbolique :
Les armoiries de la commune sont construites sur la notion d'étagement, en conformité avec la topographie locale.
Dans la partie basse, l’anneau évoque de manière stylisée le point d'eau, devenu fontaine, autour duquel se sont groupées les premières maisons. De plus, il figure l'anneau épiscopal porté par saint Didier, à qui est consacrée l’église du village.
Au-dessus, le chevron pignonné et maçonné évoque la présence très importante de la pierre dans le paysage :
- la maçonnerie de l’habitat traditionnel (le village possède de nombreuses maisons sur cave en pierre, autrefois couvertes en laves) ;
- les belles pierres de taille des édifices publics (fontaine monumentale, église) ;
- les degrés du front de taille des carrières (exploitées du Moyen Age au XXe siècle) ;
- les murets et murgers présents dans tout le village ;
- les "cabanes de coucous", abris de pierres sèches, généralement destinés aux vignerons et connus ailleurs en Franche-Comté sous le nom de "cabordes".
Les serpettes surmontent les flancs du chevron pour indiquer que les coteaux étaient couverts de vigne ; on retrouve le motif de la serpette sur deux pierres sculptées conservées au village, dont un écusson de vigneron sur une cheminée datant probablement du XVIe siècle.
Au sommet de cette "montagne de pierre", les ailes du moulin évoquent la mise en valeur ingénieuse de l'altitude du lieu depuis le Moyen Âge :
- cité en 1385, le moulin à vent de Chargey, dont la présence n’est plus révélée que par un nom de lieu-dit, est actuellement le plus ancien connu pour le département de la Haute-Sâone ;
- dominant Chargey à plus de 370 m d'altitude, le Plateau des grues, connut successivement un repère géodésique, un goniomètre pour la base aérienne de Luxeuil, enfin des antennes utilisées d’abord par les Ponts et Chaussées puis par les différents réseaux de téléphonie mobile ;
- d’une manière générale, les ailes de moulin évoquent l’ingéniosité et l’inventivité des habitants du village, à l’image du fondeur et ouvrier mécanicien Tisserand dit Jacobus, à l’origine au début du XIXe siècle de plusieurs innovations technologiques qui firent de lui un véritable "ingénieur rural".
Les émaux sont à la fois ceux de la Franche-Comté (azur et or) et de deux familles liées au village, les Foillenot et les Lavier.
Richard Philippe Foillenot de Lamblin et Angélique de Lavier sont deux seigneurs qui ont manifesté leur attachement à Chargey et ont marqué durablement l’histoire du village.
En 1778, Richard Philippe Foillenot de Magny, conseiller au parlement de Besançon, acheta la seigneurie de madame de Rosen et devint coseigneur de Chargey.
En 1779, il accepta de vendre la vigne sur laquelle fut construite la nouvelle église, ce qu’avait refusé madame de Rosen. Il accepta aussi que les habitants rachètent les droits de cens sur les terres de franche condition, qui représentaient la moitié du territoire.
Il était donc en bons termes avec les villageois, ce qui lui valut la protection de ceux-ci en juillet 1789. Aussi, en remerciement, fit-il affranchir les sujets de sa seigneurie qui étaient encore soumis à la mainmorte.
Son épouse fut la marraine des nouvelles cloches de l’église en 1784, et ses petites-filles, jusqu’à la mort de la dernière en 1890, étaient encore propriétaires à Chargey.
Les armoiries des Foillenot étaient d'azur à trois quintefeuilles d'or, alias d'argent.
Jean-Ignace de Laborey, coseigneur de Chargey, marié en 1759 à Anne Françoise Angélique de Lavier, mourut en 1750. La veuve, pour récupérer sa dot, se fit attribuer la seigneurie, qu’elle revendit en 1776. Celle qui se faisait nommer "Madame de Chargey" fit construire à Chargey une demeure, appelée localement le Château, qui joue aujourd’hui un rôle social important au sein du village : après avoir hébergé des colonies de vacances, elle a été acquise par la commune qui l’utilise pour des événements festifs.
Les armoiries des Lavier étaient d’azur à la fasce d’argent.
En soutien, deux branches forment une croix, pour figurer le tilleul et le cerisier bénis.
Un cerisier béni existait déjà en 1789, date à laquelle un texte affirme qu’il était alors vieux de plus de trois siècles, et que son tronc contenait des statues de la Vierge.
" Cet arbre comme ayant en dépôt les images de la mère de Dieu était le centre de la dévotion publique et particulière dans les temps calamiteux pour implorer la divine clémence et apaiser la colère de Dieu. La communauté était dans l'habitude de s'y rendre processionnellement conduite par le pasteur du lieu pour y faire leurs prières. C'était même à cet arbre comme à la station ordinaire des processions des Rogations que se faisait la bénédiction des fruits de la terre en sorte que ledit cerisier était à tous égards un arbre infiniment précieux à la communauté par le culte qu'elle rendait à la mère de Dieu, duquel culte il était l'occasion. "
La branche de cerisier symbolise donc, plus généralement, la production fruitière locale, manifestée par les vergers encore très nombreux jusqu’au milieu du XXe siècle.
Quant au tilleul béni, "l'teillot b'nit", il abrite lui aussi une statue de la Vierge.
Les branches sont croisées pour évoquer le caractère béni du cerisier et du tilleul. En outre, cette croix en X, dite "de saint André", était au XVIe et XVIIe siècles un des emblèmes des Comtois. Ils l’apposaient sur leurs étendards, linteaux de porte, plaques de cheminées, etc., pour signifier leur attachement aux Habsbourg, rois d’Espagne, que d’ailleurs plusieurs coseigneurs du village servirent, par la plume ou par l’épée : les Marenches, les Chaffoy ainsi que les Laborey.
La devise est "il n’est de murot qui m’arrête"
La devise constitue une allusion directe au sobriquet donné aux villageois, surnommés "Saute-murots" en référence aux nombreux murs et murgers qui sillonnaient le finage communal, et dont on retrouve une figuration stylisée à l’intérieur de l’écu.
Au sens figuré, un Saute-murots est quelqu'un qui franchit les obstacles, qui ne recule pas devant la difficulté, ce qui s'accorde bien avec le caractère des gens du village. Patients, courageux et ingénieux, les habitants de Chargey ont toujours cherché à tirer le meilleur parti de leur terroir, transformant ses contraintes en atouts : ainsi, les pentes pierreuses sont devenues vignobles, le sommet battu par les vents a été muni d’un moulin…
Recherches, composition héraldique et texte explicatif réalisés par :
Nicolas VERNOT
Membre associé de l’Académie internationale d’Héraldique
44 rue Chantepuits
95 220 HERBLAY
Site Internet : http://nicolasvernot.free.fr/
SOURCES ET BIBLIOGRAPHIE
Les recherches historiques menées par Jacques MOURANT ont servi de base à ce travail.
Remerciements à Albert-Jean Mougin, Jean-Paul Fernon et Serge Sire, ainsi qu’à Denis Joulain.