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La vérité sur Marie-Anne Wuara, le couvre-feu et les bois de Thiaucourt

« Voilà bien longtemps, une noble cavalière (Marie V/Wuara dit-on), s'était perdue dans ses bois de la Woëvre. La nuit la surprit, totalement désorientée, à la merci des brigands ou des loups. Loin, là-bas, un couvre-feu sonna, elle put ainsi se diriger. C'était celui de Thiaucourt. En remerciements, elle donna ses bois aux habitants, à condition qu'on sonne trente-trois coups de cloches à deux reprises au couvre-feu ».

Telle est la tradition bien connue, que se limitent à rapporter Henry Poulet et  l'Abbé Marange, avec toute la prudence nécessaire. Car la réalité que reflètent les archives est naturellement moins fantasmatique que ce qui en est trop complaisamment et médiatiquement rapporté. Qu'en est-il en effet ?

Lorsqu'en 1285, Thibaut II, comte de Bar, récent seigneur de Thiaucourt, autorise son vassal Adam de Béney, à prendre son bois « devers Woëvre », il précise en substance que ce sera « comme vont le faire à l'avenir ses sujets de Thiaucourt ». Bien avant 1285, les droits d'affouage de ces derniers en Woëvre sont donc une réalité. Elle remonte certainement au temps des prédécesseurs du comte, les moines de Gorze, possesseurs du bourg entre 761 et 1279. Trois siècles passent. En 1582 puis 1583, Thiaucourt obtient du Duc Charles III d'abord un bon règlement protecteur et, dans la foulée, l'arpentage consécutif de ces bois, dont la superficie est déjà celle d'aujourd'hui. Mais surtout, dès cette époque, les édiles du bourg avouent être dans l'incapacité de fournir quelque titre de propriété que ce soit. Ils n'ont comme preuve que les « usages immémoriaux», remontant donc à la nuit des temps. Il n'est pas question d'une donation. Ils ne feront évidemment pas mieux, ni en 1700 (Marie Vuara n'est pas née), ni en 1738, lorsque la communauté confirme son inventaire au fisc ducal...

Les bienfaits de Marie Vuara, eux, n'entrent en scène qu'un demi-millénaire après 1285. Par testament du printemps 1745, en effet, elle cède un certain nombre de ses biens dans la contrée, à Saint-Mihiel et à Lachaussée, à l'ancêtre du bureau d'aide sociale de la communauté. Ce ne sont pas les forêts communales de Thiaucourt.  Est-ce que « le Bois le Terme » à Béney/Xammes, dont le nom évoque peut-être des contreparties, pourrait être concerné ? Non, car dès 1582, il figure dans l'inventaire communal. Il faut donc se rendre à l'évidence, à Thiaucourt, lors de l'abolition de l'Ancien Régime, la nuit du 4 août 1789, la bienveillance coutumière « immémoriale » des seigneurs et ducs a été balayée, là comme ailleurs, par le droit commun domanial et forestier.

Des recherches supplétives sont donc nécessaires pour tenter de cerner l'ampleur des actes philanthropiques incontestables de cette fille du prévôt de Thiaucourt, anobli de fraîche date  et dont le « château » encore visible, menace ruine à Charey, sur la route de Dommartin. Mais ces investigations butent sur la disparition quasi totale des archives notariales conservées depuis le Moyen Age par les différentes études s'étant succédé à Thiaucourt. Celles-ci ont brûlé lors des bombardements de la première guerre mondiale. Il n'en reste visiblement que les résumés succincts de l'ancien service ducal de l'Enregistrement. Et on y trouve bien les mentions du testament de Marie-Anne Vuara : l'acte de juin 1745, et, en juillet, sa lecture. Marie-Anne n'est plus. Elle avait apparemment 33 ans. Ces données et les souvenirs bien vivants que la bienfaitrice a laissés dans les deux siècles qui nous précédent – le nom donné à l'ancienne rue Bernangueule en témoigne - éclairent la réputation charitable de la damoiselle et accréditent incontestablement la tradition des 33 coups de cloche renouvelés du couvre-feu ; condition qu'elle mettait à son legs. Sauf que celui-ci, comme on l'a vu, ne concerne aucunement les antiques bois communaux !
 

Ceci dit, indépendamment, deux lignes d'enregistrement (de mai 1745), non rattachées formellement aux démarches de Marie-Anne Vuara, pourraient, prises isolément, susciter bien des fantasmes. Il s'agit de l'enregistrement d'une copie du testament d'une certaine « Dame De Valdra » remontant à… 1260. Mais ni son auteur, ni son contenu (indéchiffrable en plein 18ème siècle) ne sont mentionnés. Qu'en toute logique, l'auteur de l'enregistrement soit bien Marie-Anne Vuara ne doit faire aucun doute.

Mais ne rêvons pas. Ce sont simplement des preuves d'antériorité des  biens qu'elle va inclure un mois après dans son legs au bureau des pauvres. Si ce testament de 1260 avait concerné les bois communaux auxquels se réfère la légende, dès l'origine, les Thiaucourtois n'auraient pas manqué de s'en prévaloir face aux officiers ducaux. Or, il n'en a jamais été question. Quant aux liens supposés entre « Dame de Valdra » et Marie Vuara, noble de très fraîche date et quant à l'auteur effectif et au contenu exact de ce testament de 1260 (qui l'a déposé ? de quels biens s'agit-il et à qui vont-ils ?), les questions sans réponse ne manqueront pas de prolonger discussions et couarails, bien après les sonneries du couvre-feu de 22 heures !...

Maurice Châteaux