LE RETABLE D’ORCHAISE, PEINTURE VERS 1495-1500.


Peinture sur les deux faces : Jugement dernier (face) et Calvaire avec donateurs (revers).

Dépôt de la commune d’Orchaise en 1975 au Musée de Blois, restauration en cours à Versailles, sera bientôt exposé dans la cathédrale de Blois.

Huile sur bois (trois planches de chêne) ; H. 0,90 ; L. 1,42

Historique : Origine inconnue. A l’église d’Orchaise lors de son classement Monument historique le 2 avril 1943. Restauré en 1952 par J. Malesset (devis de 1951 et facture de 1953). Dépôt au musée de Blois en 1975 (délibération en conseil municipal du 12 novembre 1977).

Bibliographie : Lesueur, 1969, p. 280, repr. pl. XX A-B.


L’intérêt du panneau provenant de l’église d’Orchaise et actuellement déposé dans les réserves du château de Blois est multiple. C’est en effet un rare représentant de la peinture en Val de Loire à la fin du XVe siècle. Il témoigne de l’influence flamande dans la culture des peintres français de cette époque mais aussi, on le verra, du rayonnement de Jean Fouquet.

L’origine du tableau est inconnue. Il apparaît pour la première fois dans l’église d’Orchaise lors de son classement Monument historique le 2 avril 1943. Une note dactylographiée du Dr Lesueur mentionne l’accrochage du panneau "sur le mur sud de la nef, au-dessus du banc d’œuvre", sans préciser la face visible. Il convient cependant de remarquer que les tableaux médiévaux ont en général été peu déplacés. Il est donc probable que la provenance du tableau est locale, et peut-être était-il même dès l’origine destiné à l’église d’Orchaise. L’église Saint-Barthélemy d’Orchaise était un prieuré de Marmoutier, fondé au XIe siècle. L’édifice actuel a été presque entièrement reconstruit en 1898 par Beau, architecte à Blois, qui, selon Lesueur, a remployé des éléments de l’église primitive. On ne peut non plus exclure que le retable ait été donné à l’église au cours du XIXe siècle, voire après la reconstruction. Prêté à l’exposition du millénaire du Mont-Saint-Michel en 1966, le tableau a été déposé au musée de Blois en 1975 et y a été exposé jusqu’en 1992.

Le Dr Lesueur reconnaissait dans le panneau d’Orchaise un volet de retable. Cette hypothèse doit être écartée. le format allongé de l’œuvre, les compositions centrées autour de la figure du Christ indiquent qu’il s’agit d’un retable visible sur ces deux faces et dépourvu de volets. La vocation du panneau d’autel est confirmée par une trace probable de brûlure de cierge visible au pied de la croix sur la face en grisaille. En outre, l’usure plus accentuée de ce côté laisse supposer qu’il était plus fréquemment exposé que le Jugement dernier. De tels retables visibles sur les deux faces, fréquents en Italie où ils sont cependant plus monumentaux, sont moins fréquents dans la culture picturale des pays du nord.

Jugement dernier
Face du Retable d’Orchaise

 

Le calvaire en grisaille manifeste une nette influence flamande, et plus précisément l’héritage de Roger van der Weyden. Le perizonium croisé du Christ apparaît sur le retable des Sept Sacrements de Van der Weyden (anvers ou sur le Calvaire avec saint Jérôme de Gérard David (New York). Le plus souvent, deux pans flottent de part et d’autre ; néanmoins, van der Weyden ne représente qu’un seul pan flottant au monumental Christ en croix de l’Escorial. Le geste de saint Jean rappelle la pose traditionnelle du saint jean gothique, la main sous la joue en signe de douleur. Il est représenté comme à Orchaise essuyant une larme par un suiveur de Van Eyck et par Van de Weyden dans deux panneaux conservés à Berlin. Dans ce dernier cas cependant, saint jean est vu de dos. Le même peintre a encore prêté un geste semblable au saint dans le triptyque de saint Eloi, perdu mais connu par un dessin au Louvre et une copie attribuée à Van der Stock. Ce modèle s’est diffusé et la pose caractéristique du saint Jean réapparaît sous le pinceau d’un anonyme brugeois. Or, le Jugement dernier marque aussi une nette influence brugeoise. L’ensemble fait écho au triptyque de Hans Memling, volé en 1473 lors de son transport en Italie et emporté à Gdansk où il se trouve toujours. On peut relever que le plateau de la balance tenue pour l’archange penche du côté des élus (et non du côté des damnés comme chez Van der Weyden) tandis que plusieurs types physionomiques sont empruntés à Memling, comme le personnage agenouillé au centre et certains élus. Le saint Michel en armure peut être rapproché de l’archange figuré sous des traits poupins par le Maître de la légende de sainte Ursule.

Calvaire avec donateurs
Revers du Retable d’Orchaise

Calvaire avec donateurs

Revers du Retable d’Orchaise

Si les peintres brugeois adoucissent déjà la leçon de Van der Weyden, la facture du panneau d’Orchaise est plus ronde encore et trahit clairement une main française, malgré l’attribution flamande proposée par le Dr Lesueur. Il en va de même du dessin sous-jacent assez enlevé visible dans le corps des élus sous le glacis clair des chairs devenu translucide. Il est possible en outre de préciser cette attribution. Dans le Jugement, les traits de la Vierge, aux yeux gonflés et au nez pointu légèrement décentré, ainsi que les visages d’anges, peuvent en effet être rapprochés d’une Vierge à l’Enfant visible dans un livre d’heures à l’usage de Bourges exécuté vers 1490 et signé par l’enlumineur berruyer Jean de Montluçon. La main de ce collaborateur du prolifique atelier des Montluçon se retrouve, selon François Avril, dans au moins deux autres livres d’heures qui se rattachent à l’enluminure de Bourges ou de Lyon. Ce n’est d’ailleurs pas le seul lien avec le milieu de Bourges. Les anges sonneurs de trompe et le type de saint Michel rappellent en effet la Résurrection des morts exécutée par Jean Colombe dans les célèbres Heures de Laval, dont les saints intercesseurs sont cependant absents.

C’est en effet que le modèle du groupe formé par le Christ, les intercesseurs et la cour angélique est à rechercher ailleurs : l’image du Christ trônant entre Marie et Jean-Baptiste à genoux au milieu d’un cercle d’anges est un emprunt à Fouquet. Le célèbre enlumineur tourangeau dispose ainsi la cour céleste sur un feuillet des heures d’Étienne Chevalier illustrant l’office du Saint Esprit à l’heure de complies (lucerna ejus) et montrant les croyants en prière.

De part et d’autre du calvaire, se voit une famille agenouillée peinte en grisaille dont seuls les visages sont rehaussés de couleur chair. Il y a à gauche un homme et son fils ; à droite son épouse et ses deux filles, selon l’ordre de préséance héraldique qui veut que les hommes soient placés à dextre de la figure divine et les femmes à sénestre. Les vêtements masculins sont ceux d’un homme de robe, dont le costume ne varie guère à la fin du XVe siècle ; ceux de la femme et de ses filles, notamment les coiffes et les robes à larges manches et encolure carrée, indiquent l’extrême fin du siècle voire les années 1500.

Ils sont accompagnés d’armoiries qui ont pour l’instant résisté à l’identification. L’écu de l’homme est de sable à la bande d’argent accompagnée de trois étoiles d’or en chef ; l’usure du tableau laisse deviner d’autres étoiles au flanc dextre de l’écu, de sorte que l’on peut supposer qu’il y avait à l’origine six étoiles disposées en orle, trois en chef et trois en pointe. L’écu de la femme est parti des armes de son mari : mi-parti, au 1 de sable à la bande d’argent accompagnée de trois étoiles d’or ; au 2 d’or, au chef de gueules chargé d’une tête de poisson (bar ou brochet ?) d’argent. La condition bourgeoise des donateurs indiquée par leur vêtement explique sans doute la difficulté à identifie ces armoiries. On peut raisonnablement considérer comme acquise la datation du panneau après 1495 et plus probablement vers 1500, de même que son attribution à un artiste du centre de la France œuvrant entre Tours, Bourges et Lyon. C’est donc un rare témoin conservé de la peinture de panneau en Val de Loire à la fin du XVe siècle.

P. G. G.