LE TROU AU SERPENT

Le trou au serpent
UNE LÉGENDE DE CHITRÉ

Le trou au serpent
 
"Chitré, après avoir été longtemps la résidence d'une noble famille, était tombé au pouvoir du sire Tiercelet, qui possédait tous les instincts de cette oiseau de proie. Il faisait regretter son bon vieux frère, mort quelques années auparavant, qui laissait pour héritier Louis, un superbe adolescent de 16 ans.
Voisin du prieuré de Savigny qui avait travaillé à son éducation morale, le jeune homme continuait à ressentir pour ce vénérable religieux autant d'amitié que d'estime. Et un jour se passait rarement sans qu'il entreprît le trajet de Chitré au prieuré.
 dame en blanc
Un soir d'été, après avoir entendu l'histoire d'un seigneur du Fou, Louis reprenait le chemin de Chitré. Déjà la moitié de la route était parcourue, lorsqu'il s'assit sur un rocher. Plongé dans de vagues rêveries, il en fut tiré par le gémissement de l'un de ses chiens couché près de lui. Il lui sembla voir une forme blanche disparaître derrière les bruyères. Surmontant une terreur passagère, il se leva, saisit sa dague et s'avança avec précaution. Les chiens ne grondaient plus lorsque, tout à coup, des sons s'élevèrent avec une extrème douceur.
 
Trois mois s'étaient écoulés... Un soir, le jeune homme se trouva de nouveau en présence de cet être inconnu. Il découvrit alors une gracieuse enfant occupée à faire des couronnes de marguerites. Ayant saisi une poignée de fleurs, il s'avança, les lui offrit et en fut remercié par un sourire. L'un et l'autre causèrent un moment puis la belle enfant disparut.
 
C'était une époque troublée. Le seigneur de Chitré, tuteur de Louis, n'avait pas bonne renommée. Sa conduite était de plus en plus violente. Tout était désordre dans la vieille tour. Mais le soir de la rencontre avec la jeune fille, en rentrant à Chitré, Louis fut frappé de l'ordre et du silence qui y règnait. Un étranger y était arrivé dans la journée, et comme à chacune de ses venues, la tranquilité succédait aux troubles et à la licence qui, d'ordinaire, remplissaient le vieux manoir. Le seigneur resta toute la nuit avec l'étranger et certains hommes d'armes dirent avoir entendu bruire des masses d'or.
 
Au petit jour, les deux hommes quittèrent Chitré. Le soir, Louis repartit là où il avait rencontré la jeune fille ; il ne tarda pas à l'apercevoir qui s'avançait vers lui. Ils se revirent souvent. Déjà ils s'aimaient. Lorsque le sire Tiercelet revint de son voyage, la jeune fille annonça à son ami qu'ils ne se reverraient plus puisqu'il devait partir. Elle ne pouvait lui en dire plus et, en guise d'adieu, elle lui donna son chapelet.
 
Effectivement, son oncle lui ordonna de quitter Chitré pour aller défendre la France. Ce dernier se moquait bien de la victoire du roi, il espérait surtout que son pupille périrait dans les combats et que Chitré lui reviendrait alors. Louis partit donc guerroyer ; il rencontra le roi, Jeanne d'Arc, fut grièvement blessé...
 
Les Anglais cherchaient à étendre leurs conquêtes tant par la guerre que par traîtresses négociations. C'est pourquoi Pierre Mygnotte, veuf, d'origine anglaise mais marié en France, était venu sonder la fidélité du seigneur de Chitré accompagné de sa fille Pierrette qui avait inspiré un amour si profond à Louis. Il était reparti, après avoir laissé une somme considérable à Tiercelet devenant ainsi, croyait-il, le propriétaire du domaine. Sur les instances du vieux soulard, il laissa malheureusement Pierrette à Chitré et l'horrible Tiercelet ne tarda pas à la poursuivre avec acharnement. La jeune fille ne sortit plus guère de sa chambre.
 
Un jour d'automne revenant enfin, exténué, vers son cher Chitré, Louis fut pris à partie par un Anglais qui le croyait de connivence avec le vieux seigneur, cet abominable traître, qui avait reçu de l'argent des Anglais mais ne voulait à aucun prix livrer le château et encore moins la jeune fille ! Le jeune homme allait être pendu, lorsque l'Anglais reconnut, à son cou, le chapelet qu'il avait confié à sa fille. Louis dut s'expliquer. Vous devinez que la plus grande cordialité s'installa ensuite entre les deux hommes.
 
Quelques jours plus tard, accompagnés des seigneurs de Bellefonds, de Targé, de Monthoiron, du Fou, ils donnèrent l'assaut au château. Pierrette fut rapidement libérée. Le vieux seigneur félon reçut un coup d'épée qui lui traversa la poitrine. Il tomba, vomissant d'horribles blasphèmes avec des torrents de sang, et, au moment où il se relevait, dans un dernier effort, les hommes virent avec horreur un effroyable serpent qui s'échappa de sa bouche. Le reptile poussa un sifflement prolongé qui les glaça d'épouvante et disparut par une meutrière qui donnait sur les fossés du château."
 
D'après Sylvain Longer, Chitré à travers les âges, 1927